dimanche 17 mai 2009

Un avis général sur les interviews, avec digressions

Bonjour.
Gabi, bravo pour ton blog. C’est une excellente initiative
- pour exposer ce que tu fais : j’espère que ça te donnera des contacts et des échanges intéressants, et que ça pourra aussi susciter des vocations
- pour savoir et discuter davantage ce en quoi consiste la recherche scientifique
- pour mieux comprendre pourquoi certains s’y engagent…

En ce qui concerne les interviews des doctorants, je vais aussi parler de celles que tu as intégrées dans ton DVD fait pour les écoles doctorales de l'université de Nantes.
Il y a les définitions de la science du point de vue des jeunes chercheurs. C’est intéressant de constater leur diversité : une démarche d’investigation, une attitude de remise en cause permanente des connaissances, un jeu, le simple plaisir de savoir, l’excitation de la découverte, l’envie de résoudre des problèmes - plus ou moins graves -, celle de produire à terme des innovations… Certains pensent aussi qu’il s’agit d’établir des vérités, une idée quelque peu naïve ! mais qui sera redressée plus tard, probablement…
On voit finalement que les commentaires sont assez proches de ceux des vidéos des « petites histoires » avec les motivations des doctorants à s’engager dans la recherche : il y a souvent un idéal derrière.

On peut remarquer aussi que ces motivations ne sont pas financières. Redemandons-nous donc si c’est normal.
Certes, cela démontre un choix de s’engager par envie ou par passion, pour une satisfaction, une cause... Mais cela montre aussi qu’il y a somme toute peu d’argent dans les sciences. Je crois c’est parce qu’on estime plutôt faible leur « retour sur investissement » (ROI).
Il me semble qu’il y a 40 ans, si les sciences et techniques avaient le vent en poupe (et peu de problème de désaffection des jeunes pour les filières scientifiques), c’est parce qu’elles étaient associées à des profits immédiats (issus d’applications technologiques) bien davantage qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, il n’y a pas moins de telles innovations, mais les ROI sont ou paraissent plus importants et plus rapides dans le secteur des services… qui ne passionne pas spécialement les gens. C’est là un problème avant tout médiatique : comment le journaliste peut-il aider à convaincre le public qu’il y a un véritable intérêt commun à retrouver et valoriser la notion de patience ?
Certains (dont des médiateurs des sciences) pensent que l’attrait pour les sciences recule parce que celles-ci font peur. Je ne suis pas tant convaincu de cela, même si la peur tend en effet à être attisée de toutes parts. Mais si c’est vrai, le journaliste ou le médiateur me semblent devoir expliquer que ce sont les usages potentiels des applications qui peuvent faire peur, mais que le scientifique n’en a pas à en être responsable. C’est presque comme si on accusait un virologiste d’avoir causé la propagation d’un virus mortel parce qu’il l’a découvert (et on ne pouvait pas le faire avant puisqu’on ne connaissait pas le virus) : cela n’a pas de sens.

Je pense qu’on doit aussi faire découvrir combien la démarche scientifique s’applique toutes les choses de la vie, ou presque. Tes productions peuvent beaucoup y aider.
Dans l’une des vidéos, on apprend par exemple qu’en Chine, les sciences de l’éducation sont balbutiantes ; c’est étonnant. Mais notons qu’en France, peu de gens savent à quoi servent les recherches en psychologie, et les financements ne cessent de diminuer dans ce domaine-là, tandis que dans certains autres pays, les chercheurs en psycho sont sollicités par de nombreuses grandes entreprises pour mieux connaître la façon dont le public ou les consommateurs vont régir à des nouveautés : une nouvelle organisation, des nouveaux produits, etc. Ici, on pourrait trouver cela audacieux ou pas très utile (même a posteriori !), alors qu’il s’agit plutôt de bons sens, non ?

Les interviews qui expliquent un peu plus longuement les travaux de thèses (je n’en ai visionné qu’une demi-douzaine, globalement toutes bien faites à mon avis) mettent l’accent sur l’intérêt des progrès des connaissances et aussi sur le plaisir du doctorant. Je pense que tu as bien raison de mettre ces 2 choses ensemble en valeur.
Elles servent aussi à démystifier un peu l’image du chercheur « grosse tête », un peu renfermé, travaillant sur des choses très pointues ou très abstraites.

Peut-être serait-il également intéressant de creuser davantage la façon dont les chercheurs, jeunes ou moins jeunes, travaillent au quotidien et les difficultés typiques de leur travail (outre celui de trouver un financement ou un poste, de devoir assurer beaucoup d’enseignements ou faire de la politique interne). Mais ce n’est pas simple à faire, il me semble, et pas forcément très vendeur non plus.
Or, faire de la science, c’est suivre une démarche, des protocoles, mais c’est aussi ne plus rien comprendre, faire des erreurs, ressasser une question puis se rendre compte que la question n’était pas bonne. Et c’est rarement un aspect qu’on creuse et qu’on explique (mais peut-être que certaines interviews que je n’ai pas encore vues le font déjà bien).
Un doctorant interviewé a dit en substance – si j’ai bon souvenir – que la science était l’art de poser de bonnes questions. Cela me semble très juste ! Pas nouveau, mais toujours pertinent, au point qu’on devrait s’y attarde le plus possible.
Quant aux réponses à ces questions, elles ne viennent pas toujours grâce à des recettes : elles naissent aussi, parfois, de façon fortuite, par une rencontre, par une idée poursuivie hors des sentiers battus (elles sont alors une création, et elles ont des chances d’être fructueuses, tandis que la cour du roi n’y verra au début que gâchis ou folie. Rappelons cette remarque du prix Nobel Albert Fert sur l’invention des ampoules électriques : elles n’ont pas été conçues en essayant d’améliorer les bougies !), ou via des choses ou des événements qui n’ont pas toujours de lien direct avec le domaine dans lequel on travaille ; c’est pourquoi l’ouverture sur les autres disciplines me paraît très importante.

La vidéo a, un peu comme la radio, cet avantage de rendre les explications plus vivantes et plus humaines que par un autre moyen. Le format que tu proposes me paraît bien, dans le style comme dans la durée.
C’est en tout cas une chose très utile que d’entraîner les jeunes chercheurs à s’exprimer oralement, de façon précise, non seulement pour qu’ils puissent mieux vulgariser, mieux capter l’attention des autres, et mieux expliquer la démarche scientifique, mais aussi parce qu’à l’école de France – bien que je ne sois pas expert de ce qui se passe dans les autres pays –, il me semble qu’on apprend encore trop peu à bien s’exprimer oralement. L’année dernière, j’ai fait un séminaire auprès de doctorants en biologie et médecine, et quand ils se sont présentés, pour la plupart d’entre eux, c’est tout juste si j’ai pu entendre leurs noms, alors qu’ils n’étaient au plus loin qu’à 6 mètres de moi !
S’il y avait plus d’argent pour le genre de production que tu fais, on pourrait peut-être imaginer un DVD largement distribué (à tous les doctorants, notamment), avec une interview avant que tu les aides à mieux se présenter, puis un petit reportage sur le travail que tu fais avec eux, et enfin la seconde interview telle que celles qu’on voit sur le blog ou sur le DVD.

Pardon, j’ai été long et sans doute un peu trop général, mais j’ai profité d’un petit temps libre pour laisser couler quelques idées qui sortent rarement via les courts instants habituels de télécommunication écrite.

ONdS

1 commentaire:

  1. Merci, Olivier, pour tes encouragements !
    Tu as raisons, les thèmes intéressants ne manquent pas dans le domaine des sciences. Dans mes films avec les doctorants, je tiens à limiter les thèmes abordés à 3, maximum 4. Ce pour cela qu'on parle dans le film "La Thèse" (2006) surtout de la vie des doctorants autant que jeunes scientifiques, leurs plaisirs, leurs frustrations, des bas et des haut, leur travail au quotidien ... "Recherche de Chemin - Chemins de Recherche" (2007) adresse essentiellement les questions liées à la recherche - les défis, les difficultés. "Questions de Science - Science en Questions" (2008) explorait ce que c'est la Science, pour des jeunes chercheurs de toutes les disciplines. La production de cette année tournera autour de la communication des sciences.
    Et l'année prochaine, cela sera peut-être, l'enseignement.

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